« Les vignes de notre voisin », « Le lieu du vin »

« La vertu est le juste milieu entre deux vices »

ARISTOTE

J’ai grandi dans un village de province où à l’école élémentaire, je préférais la compagnie des garçons à celle des filles, parce que je les trouvais moins prise de tête et plus gentils, et que je n’appréciais pas le petit jeu malsain auquel jouaient les jeunes filles en fleur dans la cours de récréation : « Soit tu es avec l’une, soit tu es avec l’autre ! – Non merci, faites sans moi, je préfère jouer à la balle avec les garçons. » Plus tard, pour gagner ma place dans la bande de copains, j’ai accepté la règle de leur jeu : « combien tu bois sans tomber ? Si tu veux jouer avec nous, montre que tu peux faire autant que nous ». Avec de l’entraînement, tout est possible.

Je ne suis pas fière de le raconter, mais je dois faire preuve d’indulgence à mon égard : je ne suis pas responsable du jeu dans lequel je suis arrivée et je n’agis pas toujours avec le meilleur discernement. Reste qu’avec une telle formation, j’ai toujours eu une bonne descente. L’alcool est une plaie mondiale. Il n’y a rien d’étonnant à ce que nous ayons besoin de ce genre de produits pour fuir le réel. Si les statistiques montrent des records de consommation en Occident, aucune culture n’est épargnée. Ici et maintenant, l’alcool est une donnée incontournable de notre art de vivre. Pour le meilleur et pour le pire.

Admettons que l’État est le dealer d’une drogue dure qui remplit ses caisses, que cette drogue nous maintient dans un état affaibli, en réduisant notre énergie et nos facultés cognitives, est un agent actif des féminicides, des violences familiales et urbaines, affecte notre espérance de vie en bonne santé. L’alcool a un fort pouvoir désinhibant mais est-à-dire que sans, nous serions incapables de nous détendre ? Parce que ça serait tout de même pas idiot de moins picoler et de mieux nous parler.

C’est pas tout le monde et pas tout le temps, mais soyons un peu sérieux. Tu as vu comment on se défonce, ce qu’on se met dans la gueule, tu as vu comme on picole ? Et tu crois que c’est bourrés qu’on va faire la révolution pour des jours meilleurs ? Oui je sais, on boit pour s’amuser, se détendre, lâcher prise et on en a besoin, c’est clair. Mais on pourrait déjà ne pas boire à chaque occasion. Parce que je ne sais pas toi, mais ayant une vie sociale assez riche, si je laisse faire, je trouve des occasions de picoler chaque jour. Et si je préfère une menthe à l’eau, ça ne manque pas : « ah bon, pourquoi ? – Je t’en pose des questions moi ? » Tu veux que je te dise ce que je pense des soirées picole, des lendemains qui déchantent, du mal de crâne et de nos conversations sans queue ni tête ?

Sauf pour les personnes souffrant d’alcoolisme et dont j’encourage la volonté, je ne suis pas dogmatique. Il n’est pas question d’affirmer Tout ou Rien ; ce qui est mauvais, c’est l’excès. Je propose au contraire de prendre la mesure de ce que nos comportements ont d’inconséquent et de nous appliquer à modérer nos désirs. C’est le sujet de ma réflexion, et si ce que j’écris te paraît évident, il me semble utile d’insister encore : ce que l’on sait en théorie ne sert à rien sans mise en pratique. C’est pour ça que je te parle d’Être et d’éthique, au sens grec antique, et pas en blabla de la société insensée dont la start-up nation est l’apogée.