Nuit debout, place de la République, le 31 mars 2016 à Paris ©moi

« Tu dois agir comme s’il était possible de changer
le monde radicalement. Et tu dois le faire à chaque fois »

ANGELA DAVIS

Je t’expliquerai plus tard, comment, pourquoi et en quoi j’ai changé. Si tu es de la même génération que moi, tu sais qu’on est pas condamné à être affecté par les mêmes maux toute sa vie. Si tu es plus jeune, je veux te dire que certaines des choses qui te causent des angoisses, dépendent de toi et de la perception que tu en as. Tout comme un ciel zébré d’éclairs est effrayant pour celui qui craint la colère divine, mais sans effet pour celui qui sait qu’il ne s’agit que d’un phénomène météo, tu peux t’affranchir de certains des maux qui t’affligent malgré toi. Le petit chef n’a de pouvoir que vis-à-vis de celui qui le prend au sérieux. Une fois compris que ce méprisant agit ainsi par besoin de dominer, pour rassurer l’enfant flippé qu’il est, il est possible de le prendre avec plus de légèreté. C’est facile à dire, je sais.

Lorsque tu as identifié ce qui crée le malaise en toi, cherchant à être moins troublé par ce qui t’affecte, aspirant somme toute à être plus en paix, tu as une bonne raison de chercher à te corriger. Ça n’est pas simple, c’est un chemin sur lequel on avance doucement. Toute action produisant des effets, tu as des chances d’y arriver si tu te donnes la peine d’essayer et de ne rien lâcher. Pour moi, ça marche et je persévère encore : je ne suis pas arrivée au bout du chemin.

Adolescente j’avais honte de ma mère qui parlait à tout le monde, comme si… Comme si quoi en fait ? Je me souviens qu’au supermarché, elle prenait à partie celles et ceux qui se trouvaient à proximité, ce qui avait le don de me mettre mal à l’aise. Je ne comprenais pas pourquoi elle faisait ça. Aujourd’hui, je la comprends d’autant mieux que j’agis de la même façon, mais elle n’est plus là pour en parler avec moi. Une chose a bougé en moi. Je vois le malaise que mon attitude peut créer pour l’homme qui partage ma vie ou pour mes fils, mais je fais ce que j’ai à faire, ça n’est pas contre eux et je suis désolée de parfois les gêner.

Il y a peu, allant commander une pizza à emporter, et forte de ce nouveau sentiment qui m’habite, malgré ma conscience des maux du monde, je souriais à la vie. La musique aidant, je me suis même mise à chantonner en attendant, adressant mon regard à qui voulait le recevoir. Un livreur attendait sa course, nos regards se sont croisés, j’ai souri. Repartant chez moi, son scooter s’arrête à ma hauteur. Comprenant de quoi il était question, j’ai décrété : « Que veux-tu que je te dise ? J’aime les gens. Je donne des sourires. J’ai un mari et des enfants. C’est gratuit. » Il a souri en retour, n’a rien dit et il est reparti.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que certaines personnes se sentent agressées quand tu ne demandes que l’heure ou ton chemin, ou à ce que d’autres lisent dans un sourire gratuit, une tentative de séduction. Quand on nous aborde dans la rue, nous flippons qu’on nous taxe une pièce, une clope, ou qu’on nous fasse chier. C’est pourquoi chacun trace sans regarder autour de lui. Ça veut dire quoi ?

Mieux vaut-il que chacun s’abstienne d’intervenir en ne s’occupant que de lui-même, en mode « chacun pour sa gueule, ta vie j’en ai rien à foutre et ne t’avise pas de t’occuper de la mienne » ? C’est quoi le mode de relation entre les personnes ? La défiance ? Les préjugés ? Dans une société qui souffre d’individualisme, ne vaudrait-il pas plutôt s’ouvrir aux autres et oser l’ouvrir ?

Comment faire pour changer ça, sinon commencer par lever les yeux, regarder autour de soi, adresser des regards bienveillants à qui est prêt à les recevoir. Ça ne change pas le monde, mais ça change déjà le monde autour de moi. C’est pour ça que je t’en parle. Si j’ai changé, tu peux changer aussi. Et toi qui le savais déjà, tu peux le dire à d’autres. Ça prend du temps, mais sincèrement, dire oui à la vie, sourire, parler, se dire et écouter, sans préjugés, ça change tout.