Sur le quai du métro, l’affiche montre une jeune femme éveillée dans son lit, le réveil indique 3 h 46. Il est inscrit : « Virginie n’en veut pas à ses voisins. Avant c’était le froid qui la réveillait. » Souligné de l’accroche « Être humain ! », le logo de la Fondation Abbé-Pierre est posé à droite du slogan « Une vie après la rue ». Après de longues années en attente d’un logement social, Virginie ne dort plus dehors, elle a enfin un toit, quelle chance ! Elle a le cuir dur Virginie, réveillée au milieu de la nuit par ses voisins, elle a appris à se contenter de ce qu’elle a et à ne pas pleurnicher pour rien. Même si elle se lèvera dans quelques heures pour aller gagner laborieusement de quoi payer son loyer, elle sourit d’entendre rire, chanter, sauter à pieds joints sur le parquet. Elle est gentille Virginie.
Sans vouloir insulter la mémoire de l’abbé Pierre dont la Fondation porte le nom, lorsque j’ai vu cette publicité, je n’ai pu m’empêcher de me demander de quel esprit de pubard sans conscience cette idée avait pu germer. Aussi, ayant eu l’occasion de discuter avec des salariés d’associations caritatives, j’ai pu prendre connaissance des niveaux de rémunération de certains « managers » issus d’école de commerce qui y officient. Je peux ainsi aisément imaginer pour quelles raisons les personnes l’ayant commanditée n’ont pas été choquées. Je parle de ces associations qui t’envoient des crayons à ton nom, entre autres « goodies », et pour lesquelles, si tu donnes de l’argent, c’est pour recevoir des cadeaux. Pourtant, tu sais bien que tu donnes parce que tu peux le faire, et parce que ça te permet d’être en paix avec ta conscience.
Un collègue m’a récemment délivré ce message, et je le remercie, car personne ne me l’avait jamais dit. Il m’avait avancé le repas dont je considérais lui devoir le coût, quand il m’a fait cadeau de ces mots : « Tu ne me dois rien. Chez moi, celui qui reçoit a le seul devoir de donner à son tour, à un autre qui se trouve dans le besoin. » Pour revenir au temps présent, avec la guerre en Ukraine, on a entendu des voix dénoncer, à juste titre, l’accueil différenciés des exilés, et le fait que des mineurs isolés soient invités, sans ménagement, à libérer la place, au profit des derniers arrivés. Il me semble utile de rappeler ce fait qu’une proche ayant vécu dix années au désormais mal nommé Palais de la femme à Paris, établissement administré par l’Armée du salut, m’a raconté. J’en parle aussi parce que nous partageons la même indignation face à cette publicité.
En 2017, cet hébergement pour femmes précaires à cinq cents euros mensuels les presque dix mètres carrés, dans des conditions pour le moins critiquables, a libéré des chambres au profit de réfugiés hommes, qu’il fallait bien mettre à l’abri. Cet arrangement a permis à la Maire de Paris de se montrer solidaire auprès de son électorat ignorant de l’envers du décor. Restreindre les places réservées à des femmes précaires pour faire entrer des hommes dans le même lieu, n’est pas sans conséquence. Dans ces conditions, on ne s’étonne pas que certaines puissent en vouloir aux réfugiés qui ont pris leur place, et qu’elles soient tentées par un vote d’extrême droite. Les politiques instrumentalisent les misères, cela attise la haine entre les miséreux.
Maintenant qu’elle a un toit, Virginie ne pense plus à ça. Elle est heureuse et ça se voit. L’air de rien, l’affichage dit que celle qui a eu la vie dure n’est pas affectée par le comportement individualiste de ses voisins. Car là où règne la charité, on attend des bénéficiaires qu’ils soient reconnaissants et qu’ils ne se plaignent pas. Les voisins peuvent bien continuer à vivre comme s’ils étaient seuls sur terre, et les pauvres gens bénéficier gracieusement de charité sans broncher. Et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.