Œuvre de Seth, Paris 20e (2021) avec l’accord de l’artiste

« Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant,
pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications. »

LE PETIT PRINCE

Certains d’entre nous apparemment plus sensibles que d’autres, se disent ou se pensent hypersensibles. Souvent incompris, pour ne pas dire marginalisés, nos sensibilités exacerbées sont d’autant moins faciles à vivre qu’on se sent anormal tant la société, par l’intermédiaire de nos relations et de nos proches, nous intime de grandir. J’ai longtemps pensé que le problème venait de moi et que je n’étais pas « finie » comme les autres autour de moi.

Les enfants sont dotés d’une grande sensibilité et partagent un sens innée de la justice que le matage social leur intimera bientôt de réprimer. Dans les transports en commun, le petit regarde autour de lui et cherche à croiser nos regards, là où les adultes agissent comme si les autres n’existaient pas. Il y aurait d’un côté, des grandes personnes sérieuses, responsables et très raisonnables, et de l’autre de grands enfants idéalistes et sensibles.

Plus chanceux que d’autres, certains parviennent à embrasser des carrières artistiques qui leur permettent de jouer aux alchimistes, alors que la grande majorité doit bien apprendre à étouffer sa sensibilité afin d’être en mesure de supporter la violence du monde. Il m’arrive ainsi d’avoir l’impression de vivre dans un monde brutal peuplé d’individus ayant développé l’insensibilité de parpaings.

Afin de remédier au mal-être contingent à cette sensibilité particulière qui m’handicapait il y a quelques années, j’évaluais ces idées : partir trouver refuge au sein d’une communauté silencieuse ; rester en m’adonnant à une forme de toxicomanie volontaire ; trouver un chirurgien qui accepterait de pratiquer sur moi une lobotomie partielle afin de me rendre conforme à la norme sociale.

Si je ne manquais pas d’idées, il est heureux pour mes proches que j’ai rencontré la philosophie dont l’étude m’a éloignée de ces idées aussi folles que logiques (tout dépend du point de vue). L’éthique m’a ensuite conduite à m’engager dans les luttes, ce qui a assurément permis de m’apaiser un peu, à l’instar des doux dingues que l’on rencontre sur le terrain militant.

Être sensible, c’est être ouvert et à l’écoute de ce qui se passe autour de soi, c’est être sujet d’émotions que l’on ressent intensément. C’est avoir la capacité de s’émouvoir de petites choses, être touché par des détails que les autres ne voient pas. C’est éprouver une grande joie pour une petite attention, être ému par un sourire ou un regard bienveillant, c’est simplement pouvoir s’émouvoir de la poésie de la vie.

Être sensible, c’est aussi ressentir de la tristesse face à un geste, une parole mauvaise ou un simple manque d’attention. C’est s’attrister de l’indifférence de l’autre que l’on voit mais qui lui, ne nous voit pas. C’est éprouver la dureté du monde et s’en trouver affecté, avoir conscience que la vie sera une lutte perpétuelle pour la justice et qu’il ne faudra jamais cesser de se battre. Être sensible n’a rien à voir avec le fait d’être fragile.

Notre sensibilité à fleur de peau fait de nous des êtres présents à nous-mêmes et à l’écoute des autres. Il ne s’agit ni d’une tare, ni d’un défaut, ni d’une faiblesse, nous ne sommes pas des adultes attardés. Il ne peut y avoir d’excès de sensibilité. Au contraire, nous évoluons dans un monde dirigé par une bande de sociopathes coupés de leurs émotions ayant accepté d’enterrer l’idée de justice, au prétexte d’une rationalité qu’eux seuls posséderaient.

Pourtant, à trop se barricader, on ne fait rien pour aider le monde à changer et on se prive du même coup de sa beauté. Pire, on participe de sa brutalité au lieu de la contrer. Toi qui me lis, veille à protéger ta sensibilité, à l’utiliser pour questionner les autres et les inviter à se reconnecter à leurs émotions. Cela ne leur sera possible que lorsqu’iels voudront bien entendre l’enfant en elleux.

6 Replies to “je te vois”

  1. Merci pour ces mots
    J’ai mis des années à apprécier et vivre pleinement avec cette hypersensibilité et plus je prends de l’âge je l’apprécie même si ça fait mal des jours ou des nuits
    Je vis mieux depuis que je l’accepte et le montre j’avance mieux
    Toute ma sympathie

    1. Merci pour ce message Mylène. Vivre avec cette sensibilité n’est pas simple chaque jour, sauf à pouvoir s’entourer de bonnes personnes et à avoir conscience que la solitude n’est pas un mal quand on a appris à prendre soin de soi. Je pose ces billets pour tout le monde et pour personne, mais aussi pour les jeunes qui sont en souffrance dans ce monde malade. Ma sympathie en retour.

  2. « aimer, c’est vouloir être aimé » affirmait Sartres. Dans cet élan qui nous pousse à s’ouvrir aux autres, à les écouter, il y a aussi le désir d’être écouté, regardé, lu en retour. C’est un exercice assez périlleux, car, comme vous l’écrivez, à trop attendre de réciprocité, on risque de se barricader, et c’est ce risque qui rend cette réciprocité si délicieuse quand elle advient.

    P.S. nous nous sommes vus à la galerie Lithium où vous être passé voir une artiste pour lui demander une autorisation. Nous avons discuté et vous m’avez donné un de vos feuillets.

    1. J’ai aimé vous rencontrer et cet échange doux, et oui on écrit pour créer du lien par delà ce qui nous sépare car au fond, nous sommes les mêmes qui voulons aimer et être aimés. Merci Ludovic, Louise

      1. Hegel affirmait que tout humain est désir de reconnaissance. Il n’y pas toujours dans le regard de l’autre une reconnaissance authentique et entière de notre valeur, une compréhension totale de notre ressenti, de ce que nous vivons. Pire, le regard de l’autre peut nous faire vivre un enfer comme disait Sartres. Et c’est ce manque terrible de reconnaissance qui créé le désir de se tourner vers l’autre et qui apporte un peu le sel de notre existence. Il y a le besoin de se sentir vivant dans vos écrits, en effet ce n’est pas par hasard que vous avez créé ce blog, vous souhaitez que votre valeur soit reconnue bien au delà de votre entourage, de votre cercle, voire même de votre vie (puisque les écrits restent). Mais ce que j’aime beaucoup dans votre blog, c’est que vous regardez les gens autant que vous voulez être regardée, d’une manière bienveillante. Moi aussi je vous vois, vous vouvoie, et l’intérêt que je vous voues nous noues, vous voyez ?

  3. Oui Louise, il nous faut apprendre à vivre, la peau à vif sans sombrer dans l’aigreur…

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