Lask du collectif Black Lines (2017) ©Florimages avec l’accord de l’artiste

« Toute forme de mépris, si elle intervient en politique,
prépare ou instaure le fascisme »

ALBERT CAMUS

À l’adolescence mon père m’a fait découvrir le monde du travail en m’employant dans le restaurant d’entreprise dont il était le gérant. Il m’avait expliqué pourquoi je devais, comme les autres, commencer par les activités les plus ingrates : plonge des gamelles et épluchage des oignons. Je le remercie pour ça. Si j’avais déjà reçu des moqueries à l’arrêt de bus parce que mon jeans ne donnait pas à voir la bonne étiquette, c’est lors de cette expérience que j’ai compris ce qu’est le mépris de classe. Les usagers du restaurant d’entreprise n’avaient, pour la grande majorité, aucun égard envers le personnel. Ni regard, ni bonjour, à peine merci. Je portais une blouse et j’étais là pour servir.

Tout comme l’enfant d’une mère exerçant le travail de femme de ménage se doit d’être vigilant à laisser la chambre d’hôtel en ordre, par égard pour la femme qui la nettoiera, et qui aurait pu être sa mère, – la mienne ou la tienne -, je m’applique à accorder de l’attention à chacun, en particulier à celles et ceux dont c’est le gagne-pain. Un geste, un regard, un merci, ça aide à passer une meilleure journée, ça dit « je te vois ». Pas de quoi me vanter, je m’exerce à n’avoir à l’égard de l’autre que l’attitude que j’aimerais qu’il ait envers moi.

Si c’était aussi évident qu’il y paraît, je n’aurais pas besoin de l’écrire ; ça ne l’est que pour ceux qui ne souffrent pas d’un sentiment d’élection particulier et qui considèrent l’autre comme un égal. C’est le contraire qui nous est dicté : sur la base de tes qualités personnelles, compétition, loi du plus fort et domination permanente. Le mépris – de soi / de l’autre – est là, partout, tout le temps. Une estime de soi mal réglée – en défaut / en excès -, produit des comportements toxiques : nous sommes pris dans des cercles vicieux dont on ne s’extrait pas d’un claquement de doigt. Le comprendre nécessite d’avoir le temps de le penser. Le temps c’est de l’argent, et tout le monde n’en dispose pas également.

Inconsciemment, chacun se mesure à l’autre. Flatté ou humilié par ce qui se dit de toi, tu flattes ou tu humilies à ton tour, espérant ainsi combler tes blessures narcissiques. On le voit à l’échelle d’une fratrie quand l’aîné répercute sur son cadet l’autorité de ses parents, lesquels sont souvent généreux dans leur pratique de l’humiliation, puisqu’on ne fait qu’être agi par ce qui nous vient naturellement, quand aller contre, demande de se maitriser, a minima d’essayer.

Soit parce tu te crois plus malin, soit parce tu sais bien que tu ne l’es pas tant que ça, mais pour te rassurer, tu t’en donnes l’allure et tu prends les autres de haut. La facilité avec laquelle tu te moques de notre connerie est déconcertante. C’est flippant parce que ça perpétue la loi du plus fort, celle qui produit les malheurs du monde, celle qui nous agit quand on la laisse gouverner. On vaut mieux que ça. Les perspectives d’avenir ne sont pas réjouissantes, nos idéaux ne sont que des petits cailloux dans la machine, nos forces sont ridicules face au rouleau compresseur de la loi du plus fort, mais nous pouvons nous armer pour lutter contre le mépris en commençant par nous en défaire nous-mêmes. Nul n’est parfait, aucun ne mérite plus qu’un autre, aucun n’est supérieur à un autre. Disons-le nous. Cessons de nous prendre pour des cons.

Sans nous poser la question de ce qui nous agit, en cas de révolution nous ne ferons que remplacer les méprisants d’aujourd’hui par d’autres, dont nous n’aurons pas su percevoir les egos dilatés, à cause des nôtres mal ajustés. Ne t’avises plus à me parler de haut ou à me flatter. Considères-moi comme ton égal, agis envers moi comme tu veux que j’agisse envers toi, mais nom de Dieu de bordel de merde, estimes-toi mieux que ça ! Vive les égaux et merci aux gilets jaunes de me l’avoir rappelé.

Laskblacklines
©Florimages / Lask, Black Lines collective (2017)

about contempt

“Any form of contempt, whether it intervenes
in politics, prepares or establishes fascism.”

ALBERT CAMUS

When I was a teenager, my father introduced me to the world of work by employing me in the company restaurant of which he was the manager. He explained to me why I had to start like the others with the most ungratifying activity: washing dishes and peeling onions. I thanked him for that. At the bus stop, I had already been mocked because my jeans did not show the right label; it was through this experience that I understood what class contempt is. The users of the company restaurant had for the most part no regard for the staff. They didn’t look at me, they didn’t say hello, they barely said thank you. I wore an apron and stayed there to serve the clientele.

I try to give attention to everyone, especially to those for whom it’s a way of making a living. I think about the cleaning lady’s child who will be careful to leave the hotel room as clean as possible for the sake of the woman who cleans it—that could have been his or her mother—but also mine or yours. A gesture, a look, a thank you, it helps make the day better, it says ‘I see you’. There is nothing to brag about, I only practice this so I have, towards others, exactly that attitude I would like them to have towards me.

If this was as obvious as it seems, I wouldn’t need to write it down; it is only obvious to those who don’t suffer from a particular feeling of having been chosen, or self-entitlement, and who consider others as equal. It’s the opposite that is imposed to us; on the basis of your personal qualities, competition, survival of the fittest and permanent domination. Contempt—self-contempt or contempt of others—is here, everywhere, all the time.

A poorly regulated self-esteem in default or in excess produces toxic behavior. We are caught in vicious cycles from which we cannot be extracted simply with a finger’s click. To understand this, we need to have the time to think about it. Time is money and no-one has enough of it.

Unconsciously, everyone compares themselves to each other. Hoping to fill your narcissistic wounds, you flatter others or humiliate yourself in return, since you have been flattered or humiliated. We see it on a sibling level when the eldest child reproduces towards the youngest that precise authority of their parents, ones who are often generous in their practice of humiliation. We’re only acting on what comes naturally to us. Going against the grain requires some effort, at least trying.

Either because you think you’re smarter or because you know you’re not that smart or to reassure yourself, you give yourself the appearance of being smart and you look down your nose on others. The ease with which you make fun of their bullshit is disconcerting. It’s scary because it perpetuates the survival of the fittest; the one that produces the world’s evils; the one that acts on us when we let it rule. We are better than that.

The future does not look good. Our ideals are only small parts in the machine. Our forces are ridiculous in front of the steamroller of the survival of the fittest, but we can arm ourselves to fight against this contempt by getting rid of it ourselves. No one is perfect, no one deserves more than another, no one is superior to another. Let’s admit it. Let’s stop taking ourselves for fools.

If we don’t ask ourselves what we are doing, if a revolution ever happens, we will only replace those egregious people of today by those we with tremendous egos that we didn’t perceive before, all thanks to our own maladaptive ones. Don’t you dare to ignore me, talk down to me or to flatter me. Consider me your equal, act towards me as you want me to act towards you, but for God’s sake, think better of yourself!

Long live the equals, and thank you to the Gilets Jaunes for reminding me about it.

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