J’ai commencé à écrire après des années passées à lire la pensée des autres, réalisant que ce que je partageais, le plus souvent dans des relations interpersonnelles, ne laissait pas indifférents celles et ceux que je rencontrais. Converser en tête à tête offre une certaine intimité. J’y suis plus à l’aise qu’en groupe où c’est toujours celui ou celle qui a la plus grande gueule qui mène la discussion en imposant ses sujets. Tout le monde n’a pas encore appris à laisser de la place aux autres.
Par ailleurs, j’aime autant disparaître quand on ne me laisse pas d’espace pour m’exprimer plutôt que de m’imposer en usant d’un rapport de force, ce qui est toujours mal vu quand on est une femme. Ainsi en guise de réponse, je me lève et je me casse pour aller voir ailleurs. Les années passant, j’ai appris à réserver ma compagnie à des relations intéressées et intéressantes, fuyant autant les discussions insipides que les groupes où règne la loi du plus fort.
N’appartenant pas à une communauté intellectuelle, je m’applique à laisser une trace en bricolant selon mes propres règles. J’ai bien compris que les personnalités que j’avais pu rencontrer n’auraient pas la curiosité de me lire. Si je regrette celles qui auraient pu m’offrir de profiter un peu de leur exposition, je ne me laisse pas gagner par la rancœur et je m’appuie sur ce constat pour poursuivre la critique des étiquettes, des préjugés et du chacun pour soi.
La littérature étant un art bourgeois [ 1], je m’offre la liberté de semer des saxigrages [2 ] en m’en remettant à la marge. Car quoiqu’il en soit, ça a du sens pour moi et si ça en a un peu pour toi, alors c’est déjà ça. N’étant attendue par personne, j’écris en dilettante, confrontée à la contradiction insoluble qu’une voix ne peut pas porter quand celui ou celle qui désire être entendu n’a pas travaillé à devenir quelqu’un, parce que comme les causes communes dans lesquelles on s’engage, il me semble que ce qu’on écrit est plus grand que soi.
Écrire me permet ainsi de constituer un groupe de pensée confidentiel, car les échanges formulés en « je-tu-nous » se poursuivent en off en nous rencontrant ou en entretenant quelques précieuses relations épistolaires notamment. Ainsi ce que j’ai à dire se révèle un tant soit peu digne d’intérêt et moi, je me sens aimée. Mon enjeu est de parvenir à mettre en forme ce que je n’ai eu de cesse de bégayer ces dernières années sous la forme de notes éparses.
Il s’agit de déposer à l’extérieur de moi ce que j’ai à partager pour qu’ensuite, j’éprouve moins le besoin de dire. Enfin, défendant l’idée que l’intime est politique, j’écris autre chose de plus ambitieux en parallèle, un essai dans lequel viendront s’insérer quelques-uns des billets publiés ici et qui trouvera un éditeur pour aider y’a plus qu’à à sortir de la marge, ou pas. Qui vivra verra.
[ 1] L’institution de la littérature, Jacques Dubois (1978). Espace Nord
[ 2] Confiscation des mots, des images et du temps, Marie-José Mondzain (2019). Les liens qui libèrent
C’est d’une extrême banalité, mais j’aime particulièrement ce billet.
Merci beaucoup. Il semble que le style s’affirme en pratiquant (ce blog a été initié en novembre 2021) et que les mots s’alignent de plus en plus aisément les uns derrière les autres. Merci encore et à bientôt pour la suite
Un petit message touchant, avec une belle plume. Pour moi l’écriture n’est pas un art bourgeois même s’il est vrai que l’apprentissage de l’écriture à été longtemps l’adage des nantis. Il d’autant plus important de continuer à se l’approprier, pour l’exemple, pour la transmission, pour l’art, pour quelque chose de plus grand que soi.
Donc merci de ce partage et continue
Merci, ma situation a changé et j’ai laissé en pause ce blog tout en continuant à diffuser ce qui est déjà posé mais j’ai bien l’intention de poursuivre cet ouvrage sauvage dès que possible. Merci à toi pour gentil message qui vient me le rappeler
Largement partagé comme sentiment « insoluble », pour le dire vite. Précieux ces petits billets, c’est la couleur de la mousse qui doit me faire dire ça 🙂 – Allez à la manif ! Vive la trèv…euh grève.
Faire sauter les digues intérieures , laissé s écouler les non dits, filtrer le verbe juste, éviter la logorrhée que l idée soit juste et son expression percussive. La brèche ouverte, le torrent de pensée s’appaise sur les mots choisis pour enrobés de douceur la violence exprimée.
Et c bien quand une digue lache, elle en entraîne souvent d autre…
Que le digues lâchent de toute part, c’est tout le bien que je nous souhaite… Merci pour vos mots choisis avec soin qui résonnent avec les miens.