Benoît Poelvoorde, C’est arrivé près de chez vous (1992)

 « Qui qualifies-tu de mauvais ? Celui qui veut toujours faire honte »

FRIEDRICH NIETZSCHE

Quand j’étais gamine dans la cours de l’école élémentaire de mon village du Loir-et-Cher, je me souviens du harcèlement dont Elisabeth, la fille de fermiers voisins, était victime. Différente, plus grande en taille que les autres et en retard de quelques années, déjà formée avec de petits seins et du poil sous les aisselles, cela suffisait à faire d’elle le souffre-douleur des enfants qui s’adonnaient à la loi du plus fort.

Je me souviens de mon sentiment de malaise, et si à l’âge de dix ans, il n’était pas aisé de s’interposer seule, ça n’est pas plus simple aujourd’hui. Avant Internet, je te laisse imaginer le nombre d’enfants qui ont eu à souffrir de la méchanceté gratuite des autres. Enfant, il est commun de se laisser influencer et d’agir, sans réfléchir, de façon bête et méchante.

Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, c’est flagrant. Quelqu’un affirme une chose avec laquelle tu n’es pas d’accord, tu viens lui faire la leçon en le méprisant. Qu’il s’agisse de la vie réelle ou de nos vies virtuelles, sur un réseau social ou sur la messagerie d’un groupe particulier, insulter l’autre, le remettre en place en lui parlant de haut, envoyer une pique en prenant à partie la communauté présente, alors même que la personne a exprimé un avis sans insulter personne, c’est violent, bête et méchant.

Tu as vu comment on se parle ? Tu te moques souvent des autres et tu te plains qu’on te parle mal ? Si tu ne veux pas te faire insulter, commence par ne pas insulter les autres. Parce que sinon, c’est l’effet boomerang assuré, et au jeu du plus con, on ne manque pas de champions. J’ai été éduquée avec la recommandation d’agir envers l’autre comme j’attends qu’il agisse envers moi, de ne lui faire que ce que je supporte qu’il me fasse, et quoique cela vienne de la Bible, et puisqu’il s’agit de logique élémentaire, ça pourrait t’inspirer.

On me dira que c’est le jeu ma pauvre Lucette : si tu ne dis rien, ça n’arrive pas ! Mais si tu exposes tes pensées, ne t’étonne pas qu’un autre qui se pense plus malin, vienne te corriger. Nos egos décomplexés se livrent à des duels virtuels. Tant qu’il ne s’agit que de débats d’idées respectueux, tout va bien. Après tout, personne n’a la science infuse, et chacun est susceptible de se tromper, de reconnaître son erreur et d’apprendre. Mais pourquoi ce besoin d’humilier l’autre, c’est quoi l’idée ? C’est aussi simple que ça : j’écrase – l’autre – pour me sentir supérieur – à lui. Je le fais devant un public pour nourrir mon ego mal réglé.

C’est un comportement commun de la société individualiste, régie par la loi du plus fort, où l’on ne s’estime le plus souvent qu’en se comparant à l’autre, aux autres. « Les gens sont cons » : d’accord mais « les gens » ne sont pas condamnés à le rester, et puis les gens c’est moi, c’est toi, c’est nous quoi. L’estime de celui qui agit ainsi est mal réglée : s’il ne se prenait pas lui-même pour un.e con.ne, il serait plus indulgent.e avec les autres. Ne te méprends pas : avoir une bonne estime de soi ne signifie pas non plus, péter plus haut que son cul.

Tu me penseras « fragile » alors que je me garde des comportements toxiques. Je me permets de le dire car j’ai joué à ce jeu – je n’en suis pas fière -, mais depuis que j’ai compris, j’évite autant que possible de céder à la facilité et de le faire encore. Et ça n’est pas parce que d’autres se l’autorisent que j’ai envie de faire comme eux : il y a moyen d’être moins influençable qu’un enfant, non ? Quand on me manque de respect, je ne réponds pas par la surenchère qui ne mènerait à rien de bon. Par ailleurs, quand je tombe sur un champion, je lui laisse le dernier mot, et désormais, je pourrais répondre avec ce billet. C’est aussi pour ça que je le pose là.

Avant de dégainer, demande-toi d’où te vient la pulsion, à quelle faille elle répond, si l’autre a voulu te blesser ou bien si il a simplement fait preuve de maladresse. De toi à moi, nous ne sommes que des humains, imparfaits, susceptibles d’erreurs, mais perfectibles. Reste que nous en sommes là. Et que le plus drôle c’est que nous agissons ainsi en prétendant lutter contre des dominations. Et si on essayait un peu d’être gentils, a minima de ne pas être méchants gratuitement, pour voir l’effet que ça produit ?

Prèsdechezvous
All Rights Reserved – Benoît Poelvoorde, C’est arrivé près de chez vous, 1992

stupid and mean

“Whom do you call bad? Those who always want to put others to shame.”

FRIEDRICH NIETZSCHE

When I was a child in the playground of my village elementary school in the Loir-et-Cher, I remember the harassment of which the daughter of neighboring farmers Elisabeth was a victim. She was different, taller than the others and a few years behind, already mature enough to have small breasts and hair under her armpits. This was enough to make her the scapegoat of the children who believed in the survival of the fittest.

I remember how uncomfortable I felt. It was not easy to stand up on my own at the age of ten, it is not easier today. Before the internet, I’ll let you imagine the number of children who had to suffer from the gratuitous meanness of others. As a child, it is common to be influenced and to act without thinking in a stupid and nasty way.

Today on social media it is obvious. When someone says something you don’t agree with, you come and lecture them with contempt. Whether it’s in real life or in our online ones, on a social network or in a particular group’s messaging system, insulting others, putting them in their place by talking in condescending ways, taunting them by taking on the community that’s present, even though the person has expressed an opinion without insulting anyone, it’s violent, stupid and mean.

Have you noticed how we talk to each other? Do you often make fun of others and complain about being addressed in condescending ways? If you don’t want to be insulted, start by not insulting others. Because if you do so, it’s an insured boomrang effect; playing the game of being the stupidest, there are plenty of champions. I was educated with the advice to act towards others as I expect them to treat me, to do to them only what I’ll allow them to do to me. Even though this comes from the bible, it could inspire you, since it’s basic logic.

They will tell you this is the game: if you don’t say anything, it doesn’t happen! But if you expose your thoughts, don’t be surprised if someone else who thinks they are smarter comes and corrects you. Our unabashed egos are engaged in virtual duels. As long as it’s just a respectful debate of ideas, everything is fine. After all, we’re no rocket scientists, and everyone is likely to make a mistake, admit it and learn from it. But why this need to humiliate others? What’s the point? It’s as simple as this: I crush (others) to feel superior (to them). I do it in front of an audience to feed my poorly regulated ego.

It’s a common form of behavior of individualistic society, governed by the survival of the fittest, where one estimates oneself most often only by comparing oneself to the other, to others. ‘People are stupid’: okay, but ‘people’ are not condemned to remain so. People are me, you, us. The esteem of a person who acts like this is badly regulated; if he didn’t take himself for an idiot, he would be more indulgent with the others. Don’t get me wrong; having a good self-esteem doesn’t mean that you’re a big shot either.

You may think I’m ‘fragile’, but I’m just careful about toxic behavior. I say this because I used to play that game—I’m not proud of it. Since I’ve figured it out, I try to avoid it as much as I can and doing it again. And it’s not because others allow themselves to do it that I want to do as they do. There are ways to be less suggestible than a child, aren’t there? When someone disrespects me, I don’t overplay my hand because it wouldn’t lead to anything good. On the other hand, when I come across a champion of stupidity, I let him have the last word; and from now on I could answer with this text. That’s also why I’m putting it here.

Before drawing your gun, ask yourself where the impulse is coming from, what fault it answers, if the other person wanted to hurt you or if he was just being clumsy. From you to me, we are only human, imperfect, susceptible to mistakes therefore perfectible. But here we are. And the funny thing is that we do this while pretending to fight against forms of domination. What if we tried to be nice, at least not to be gratuitously mean, to see the effect it has?

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